De l’importance de prouver la date de publication d’une antériorité pour annuler un modèle communautaire

Décision R 1434/2024-3 du 11/12/2024 de la 3ème Chambre de Recours de l’EUIPO


Afin d'invalider un modèle communautaire (DMC 2126649-0002) enregistré pour des bijoux ayant la forme d’une fleur quadrilobée, comme une fleur de lilas, le demandeur en nullité a présenté des images non datées de produits ayant des formes ou motifs similaires : des bijoux, un sac Louis Vuitton dont les motifs de la toile comprennent une fleur quadrilobée et des éléments d’architecture médiévale dans lesquels on peut voir des formes géométriques, y compris des formes quadrilobées.

Le titulaire du DMC a répondu en demandant le rejet de la demande en nullité, aucune des antériorités n’étant datée.

Selon l’Article 28, paragraphe 1, point b) v), du REDC, le demandeur en nullité d’un DMC invoquant l’absence de nouveauté ou de caractère individuel doit fournir une représentation du dessin ou modèle antérieur, ainsi que des documents prouvant l’existence du ou des dessin(s) ou modèle(s) antérieur(s).

Il s’agit de montrer que l’antériorité citée a bien été divulguée au public au sens de l’Article 7, paragraphe 1 du RDC, à la suite de la publication d’un enregistrement pour un dessin ou modèle enregistré, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date de dépôt ou, le cas échéant, la date de priorité du dessin ou modèle contesté, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union européenne.

De plus, les preuves de l’existence et de l’identification du ou des dessin(s) ou modèle(s) antérieur(s) doivent être déposées en même temps que la demande en nullité, afin que le titulaire puisse se prononcer sans délai sur le bien-fondé de l’action. Il s’agit d’une condition de recevabilité de la demande en nullité.

En réponse à l’objection du titulaire, le demandeur en nullité a argumenté que la forme quadrilobe est largement utilisée dans la bijouterie, qu’il est notoire que la marque Louis Vuitton utilise un motif lilas identique au DMC contesté depuis des décennies, et que les photos d'architectures représentant des arcs datant du Moyen-Age, les formes étaient divulguées bien avant la date de dépôt du DMC.

La Division d’Annulation rejette la demande comme étant non fondée, le demandeur n’ayant pas démontré que les antériorités citées ont bien été divulguées au public au sens de l’Article 7, paragraphe 1, du RDC.

Le demandeur en nullité forme un recours contre cette décision et dépose de nouveaux documents pour établir la date de publication des modèles antérieurs.

La Chambre de Recours confirme que les simples déclarations faites devant la Division d’Annulation ne suffisent pas à démontrer la publication ou la divulgation des antériorités citées. En effet, la divulgation ne peut être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs. La Chambre de Recours confirme donc que la demande en nullité, telle que déposée, était non fondée.

Elle va ensuite étudier les nouveaux documents déposés lors du recours.

Pour les bijoux antérieurs, aucun document n'a été déposé.

Pour le sac Louis Vuitton, le demandeur dépose comme preuve des photographies de sacs portant le motif lilas. Les photographies portent une inscription Vogue, un nom, qui doit être celui du photographe et une année.

Selon la Chambre de Recours, il n’est pas clair si la date indiquée est une date de publication ou la date à laquelle la photo a été prise. De plus, les sacs Louis Vuitton de ces photos ne sont pas les mêmes que celui de la demande en nullité, même si le motif de la toile est le même.

L’antériorité du sac Louis Vuitton n’est donc pas retenue puisque le sac cité comme antériorité n’a toujours pas une date certaine de divulgation.

Pour les parties d’architectures médiévales, le demandeur a déposé lors du recours un article portant sur un livre contenant une photographie du même arc que celui cité dans la demande en nullité. Il a également longuement argumenté que l'arc représenté dans l'article date de l'époque médiévale et que, par conséquent, le motif quadrilobe qui y est représenté a été divulgué bien avant la date de dépôt du DMC contesté.

La Chambre de Recours note que la photo de l’article est exactement l’une des photos de la demande en nullité et qu’elle ne fait que compléter les arguments présentés devant la Division d’Annulation. Ce document est donc admis.

La Chambre de Recours considère que le livre montre que ces ornements médiévaux, présents dans des bâtiments accessibles au public dans toute l'Europe, « auraient pu raisonnablement être connus dans le cours normal des affaires dans les cercles spécialisés dans le secteur concerné opérant dans l'Union européenne ».

L'affaire est donc renvoyée devant la Division d'Annulation afin d'étudier la nouveauté et le caractère individuel du bijou du DMC par rapport au motif quadrilobe des arches médiévales.

Il y a peu de chances que le bijou soit invalidé par rapport à la photo de l’arche retenue, le quadrilobe de l’arche n'étant pas isolé, mais enchâssé dans un losange lui-même enchâssé dans un maillage alambiqué de volutes et de quadrilobes.

Cette décision souligne encore une fois qu’il faut un dossier bien étayé pour attaquer un DMC en nullité et qu’il ne suffit pas de soutenir que le motif ou la forme est notoirement utilisé(e). La preuve de la date est très souvent insuffisante pour de nombreuses antériorités citées, notamment lorsque la divulgation a eu lieu sur internet. L’intérêt de cette décision est surtout de souligner que des documents déposés en recours peuvent être admis s’ils complètent les éléments déjà fournis devant la Division d’Annulation. Il convient alors de bien faire le lien entre les éléments déposés lors du recours et les éléments déjà déposés devant la Division d’Annulation.