COUR D'APPEL DE PARIS - ARRET DU 22 novembre 2023 - Pôle 5 - Chambre 1 - 22/19275
La société X se présente comme spécialisée dans la conception et la fabrication de robots terrestres destinés à assister l'homme au cours de différentes missions.
Elle exploite notamment les brevets dont est propriétaire la société Y et plusieurs demandes de brevets. Le 16 septembre 2023, l'INPI a indiqué délivrer un des brevets.
La société Z se présente comme spécialisée dans la conception de robots d'assistance opérationnelle et de lutte contre l'incendie.
Soupçonnant que des modules complémentaires du robot TEC 800 de la société Z reproduiraient les revendications de plusieurs demandes de brevets, les sociétés X et Y l'ont, par une lettre du 2 novembre 2021, mise en demeure de cesser d'offrir à la vente ces produits. Par courrier en réponse du 11 novembre 2021, la société Z a contesté les faits en cause.
C'est dans ce contexte que les sociétés X et Y ont, par acte d'huissier du 6 janvier 2022, fait assigner la société Z en référé aux fins d’ordonner, sous astreinte, à cette société, de cesser tout acte de fabrication, de promotion, de distribution ou de commercialisation de ses dispositifs XXX et YYY, ou de tout autre produit ou dispositif contrefaisant les demandes de brevets en cause, dès le prononcé de l'ordonnance.
Par une ordonnance de référé du 7 novembre 2022, le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris a notamment dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés X et Y.
Le 16 novembre 2022, les sociétés X et Y ont interjeté appel de cette ordonnance.
L'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, sur lequel les sociétés appelantes fondent leurs demandes, dispose que « Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur (...), toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. (...) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente. ».
Par ailleurs, selon l'article L.613-1 du code de la propriété intellectuelle, « le droit exclusif d'exploitation mentionné à l'article L.611-1 prend effet à compter du dépôt de la demande ».
Mais, l'article L.615-4 du même code précise que « Par exception aux dispositions de l'article L. 613-1, les faits antérieurs à la date à laquelle la demande de brevet a été rendue publique en vertu de l'article L. 612-21 ou à celle de la notification à tout tiers d'une copie certifiée de cette demande ne sont pas considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés au brevet. Le tribunal saisi d'une action en contrefaçon sur le fondement d'une demande de brevet sursoit à statuer jusqu'à la délivrance du brevet. »
Il résulte de la lecture combinée de ces textes que si la loi française octroie au titulaire d'une demande de brevet un certain nombre de droits parmi lesquels celui d'agir au fond en contrefaçon (L.615-4), mais avec l'obligation pour le tribunal de surseoir à statuer jusqu'à la délivrance du brevet, elle ne prévoit nullement expressément la possibilité d'agir en référé sur le fondement d'une simple demande de brevet en application de l'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle.
En outre, l'article L.615-3 relatif aux instances en référé qui autorise effectivement l'introduction d'une telle demande à toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon conditionne, cependant, l'exercice de cette action à l'existence d'un titre, celle-ci étant spécifiquement destinée à « prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ». Or, « les titres de propriété industrielle protégeant les inventions » sont énumérés à l'article L.611-2 du code de la propriété intellectuelle, qui vise en 1°, « les brevets d'invention délivrés pour une durée de vingt ans à compter du jour de la demande », sans mentionner la simple demande de brevet.
En conséquence, à défaut de justifier d'une atteinte à un titre au sens des articles L. 615-3 et L. 611-2 du code de la propriété intellectuelle, soit un brevet délivré, au jour où le juge des référés a statué, les sociétés X et Y n'étaient pas recevables et fondées à présenter une telle demande.
Cependant, la cour, en raison de l'effet dévolutif de l'appel, doit nécessairement prendre en compte les faits survenus postérieurement à l'ordonnance attaquée, de sorte que la délivrance du brevet FR 2 108 020 (ci-après FR 020) permet aux appelantes de revendiquer désormais le bénéfice des dispositions de l'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle devant la cour, sous réserve de l'examen des contestations émises par la société Z.
Par ailleurs, la cour rappelle que, conformément à l'article L.615-4 du code de la propriété intellectuelle, « les faits antérieurs à la date à laquelle la demande de brevet a été rendue publique ou à celle de la notification à tout tiers d'une copie certifiée de cette demande ne sont pas considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés au brevet. »
Or, il ressort des pièces produites que le brevet FR 020 opposé à la société Z a été publié le 27 janvier 2023, et qu'une copie certifiée lui a été signifiée le 29 juillet 2022, soit bien postérieurement à la mise en demeure adressée le 2 novembre 2021, puis à l'assignation délivrée le 6 janvier 2022, de sorte que les faits antérieurs au 29 juillet 2022 ne peuvent être considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés au brevet.
S'agissant des faits postérieurs allégués, la cour constate que les robots argués de contrefaçon n'ont fait l'objet d'aucune mesure de saisie, les sociétés appelantes procédant par affirmations et basant essentiellement leur argumentation sur des photos extraites d'un procès-verbal de constat sur internet, aucun des produits n'étant communiqué.
Ainsi, si la photographie du dispositif de la société Z représente un châssis sur lequel sont fixées deux bouteilles d'oxygène, la reproduction des caractéristiques des revendications n'est nullement démontrée.
En conséquence, au regard de ces contestations sérieuses et de l'absence de vraisemblance des atteintes alléguées, il convient de dire n'y avoir lieu à référé. Pour ces motifs, il convient de confirmer l'ordonnance déférée.