La société X est titulaire de brevets relatifs à des technologies mises en œuvre dans les réseaux de télécommunications permettant l'accès à haut débit à internet sur les lignes téléphoniques, en particulier les technologies dites « xDSL » (ADSL et VDSL).
Elle est en particulier la titulaire inscrite du brevet européen EP 1 694 020 (EP 020) ayant pour titre « Système et méthode de modulation multi-porteuse », issu d'une demande européenne divisionnaire sur la base d'une demande de brevet européen elle-même issue d'une demande internationale PCT.
L'invention concerne les systèmes et procédés de communication à porteuses multiples utilisant une modulation à porteuses multiples à adaptation de débit.
La société Y est un des principaux opérateurs français de télécommunications fournissant à ses clients des offres haut débit, mobiles et fixes, au moyen, dans ce dernier cas, de « box » DSL (Digital subscriber Line) permettant le transport numérique de données sur une ligne de raccordement filaire (en cuivre) téléphonique ou par d'autres liaisons spécialisées, reliées, côté opérateur, à des multiplexeurs d'accès à la ligne d'abonné numérique (ou sous leur acronyme anglais DSLAM pour « Digital suscriber line access multiplixer »), tous éléments de réseaux qui lui sont fournis.
La technologie utilisée est celle de l'ADSL (Assymetrical Digital Subscriber Line, ou ligne d'abonné numérique asymétrique, car la transmission de données est plus importante dans le sens DSLAM/ DSL que dans le sens DSL/DSLAM) qui met en œuvre la modulation DMT (Discrete Multi Tone), et a fait l'objet d'une normalisation par l'Union Internationale des Télécommunications (UIT).
La société X expose avoir acquis la conviction que plusieurs des inventions protégées par ses brevets étaient exploitées par les principaux opérateurs de télécommunications européens, dont la société Y. Aussi, a-t-elle pris contact avec cette société afin de lui proposer de régulariser sa situation, par le biais d'un contrat de licence d'exploitation non exclusive des inventions protégées par les brevets, aux conditions FRAND (Fair, Reasonnable And Non Discriminatory).
Faute de réponse positive et constatant que la société Y poursuivait ce qu'elle considère être des actes de contrefaçon, la société X l'a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris.
Le jugement dont appel a notamment dit que les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 1 694 020 sont nulles pour extension du brevet au-delà de la demande antérieure telle que déposée.
Ainsi qu'il a été rappelé, le brevet EP 020 est issu d'une demande européenne divisionnaire. Il convient de vérifier si cette demande divisionnaire telle que délivrée est bien couverte par la demande de brevet antérieure telle que déposée.
La définition de la personne du métier retenue par les premiers juges, à savoir un : « ingénieur spécialiste des technologies de communication mises en œuvre dans les réseaux de communication haut débit, et qui, à ce titre, a connaissance des normes en vigueur » sera retenue par la cour.
Ainsi que le rappelle la société X, si l'abandon de caractéristique figurant dans la demande antérieure n'est pas en soi interdite, il résulte des décisions des chambres de recours de l'office européen des brevets (OEB) que : « Une telle restriction ou généralisation intermédiaire n'est autorisée au titre de l'article 123(2) CBE que si l'homme du métier reconnaît sans aucun doute à partir de la demande telle que déposée que les caractéristiques tirées d'un mode de réalisation détaillé n'étaient pas étroitement liées aux autres caractéristiques de ce mode de réalisation et appliquées. directement et sans ambiguïté au contexte plus général ».
L'objet de l'invention définie au paragraphe [0026] du brevet EP 020 est de fournir une transmission DMT améliorée dans laquelle les paramètres de transmission peuvent être modifiés de manière simple et/ou fiable. Il est complété d'un paragraphe [0027] selon lequel, l'objet susmentionné est atteint par un procédé selon la revendication 1 ou 7, par un émetteur à ondes porteuses multiples selon la revendication 13 ou par un récepteur à ondes porteuses multiples selon la revendication 19.
Ces deux paragraphes de la description du brevet EP 020 ont été ajoutés en cours de procédure de délivrance par rapport à la description de la demande antérieure.
Les revendications 1, 7, 13 et 19 du brevet EP 020 invoquées par la société X comportent des éléments nouveaux ainsi que relevé par le tribunal. De nombreuses caractéristiques ont en effet été abandonnées ce qui n'est pas en soi interdit.
Pour autant, l'objet des revendications délivrées doit pouvoir être déduit directement et sans ambigüité de la demande antérieure telle que déposée.
Les intimées reprochent l'extension de l'objet du brevet pour plusieurs raisons dont la généralisation du problème technique à résoudre, la généralisation du symbole de synchronisation à tout symbole DMT ne véhiculant pas de données, l'abandon des caractéristiques relatives aux mots de code et à l'entrelaceur, la prise en compte de façon isolée d'une étape inextricablement liée aux autres étapes, l'absence de caractère transparent de la modification de débit, la généralisation du changement de débit à tout paramètre.
Il ressort de la lecture de la demande antérieure que la notion de robustesse est associée à l'adaptation « transparente » du débit, à savoir qui n'entraîne pas d'interruption de l'émission et de la réception des données. Il est également question dans les revendications de cette demande antérieure d'une modification transparente de débits de données.
L'objectif de l'invention, tel que décrit dans la demande antérieure est de modifier de façon transparente un débit de données comme l'indiquent les intimées.
Aussi c'est à juste raison que le tribunal a considéré qu'il résulte des revendications, de la description et des dessins et même du titre, que l'objet de la demande antérieure était de proposer un procédé transparent sans coupure d'adaptation du débit dans un système ADSL.
Comme le soutiennent à juste titre les intimées, aucun élément de la demande antérieure ne permet donc de généraliser le problème initial de savoir comment modifier de façon transparente un débit de données à une modification englobant tous paramètres de transmission quelle que soit leur nature et toute modification non transparente.
La séparation de la caractéristique de la robustesse de celle de l'adaptation transparente de débit formule un nouveau problème technique qui ne correspond pas au problème technique initialement décrit dans la demande antérieure qui était de savoir comment changer de débit de données de manière transparente dans un système ADSL.
Aussi, il résulte de ce qui précède que la personne du métier ne peut déduire directement et sans ambigüité du contenu de la demande antérieure que l'objet de l'invention serait de fournir une transmission DMT améliorée, dans lesquelles les paramètres de transmission et pas seulement le débit des données peuvent être modifiés de façon simple et fiable.
La personne du métier ne peut pas non plus déduire directement et sans ambigüité du contenu de la demande antérieure que l'objet de l'invention serait de permettre une signalisation robuste du changement de tout paramètre de transmission indépendamment du protocole d'adaptation transparent.
Il s'agit donc d'un élargissement inadmissible de l'objet du brevet.
En outre dans les revendications 1, 7, 13 et 19 du brevet EP 020, « le symbole DMT ne véhiculant pas de données dont on va détecter le changement de phase », n'est pas nécessairement un symbole de synchronisation inversé.
Il s'ensuit que le brevet EP 020 couvre des réalisations non divulguées dans la demande antérieure.
Il ressort également que dans la demande antérieure le protocole de changement de débit du système est décrit sous différentes formes NSRA et FSRA. Les différentes formes de ce protocole comportent toutes une étape de signalisation du changement de débit du système par un symbole de synchronisation « inversé ».
Cette étape de signalisation suit toujours un processus de décision de changement de débit en fonction des conditions de transmission (du bruit par exemple) sur les canaux de communication et un échange de table BAT. Cette étape n'est jamais décrite seule, en dehors de ce contexte.
Les revendications 1, 7, 13 et 19 du brevet EP 020 isolent l'étape de signalisation et la généralisent en mentionnant un symbole DMT non porteur de données au lieu d'un symbole de synchronisation et en changeant l'inversion du signal en un changement de phase.
Or, la personne du métier ne pouvait pas déduire directement et sans ambiguïté de la demande antérieure telle que déposée qu'il serait possible de signaler un changement de débit sans passer par l'ensemble des étapes des protocoles complets NSRA et FSRA de la demande antérieure qui n'en décrit aucun autre. En outre, la signalisation d'un changement de débit est liée au préalable à l'échange d'une table BAT ou l'échange d'indication désignant une nouvelle table BAT.
Les revendications 1, 7, 13 et 19 qui ne reprennent pas ce protocole complet et parlent de changement de phase d'un symbole DMT non porteur de données au lieu d'une inversion de bits du symbole de synchronisation opèrent une généralisation inadmissible, l'homme du métier ne pouvant la déduire directement et sans ambiguïté du contenu de la demande antérieure telle que déposée.
Les revendications 1, 7, 13 et 19 de la partie française du brevet EP 020 doivent en conséquence, pour l'ensemble de ces motifs, être annulées pour extension du brevet au-delà de la demande antérieure telle que déposée.